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Une étude explore la diversité des émotions suscitées par la présence des loups

Recherche Article publié le 24 avril 2024 , mis à jour le 29 avril 2024

Les loups (Canis lupus) ont réalisé un remarquable retour dans les paysages européens et ont entamé un processus de recolonisation naturelle en France depuis 1992. Une présence qui n’a pas été sans susciter des débats parfois chargés d’émotion au sein des populations locales. Une étude pilotée par un chercheur du Laboratoire Écologie Systématique et Évolution (ESE- Univ. Paris-Saclay / CNRS / AgroParisTech) s’intéresse aux émotions que peuvent susciter cette cohabitation. Elle vient d’être publiée dans la revue People and Nature.

Après avoir longtemps disparu du territoire français, les loups sont réapparus dans les années 90. Même si c’est une bonne nouvelle pour la biodiversité, la coexistence de ces grands carnivores avec les populations locales n’est pas sans poser des problèmes en raison notamment des dommages qu’ils peuvent causer au bétail. Le moindre de ces incidents engendre des débats très fortement chargés émotionnellement qui peuvent avoir des répercussions sur l’opinion publique et influer sur des décisions politiques. Cette question de l‘impact émotionnel de la cohabitation des grands carnivores avec les humains avait jusqu’à présent été très peu étudiée. D’où l’intérêt des travaux menés par une équipe internationale dirigée par Ugo Arbieu, chercheur en Post-doc au Laboratoire Écologie Systématique et Évolution (Univ. Paris-Saclay / CNRS / AgroParisTech).

Les émotions sont des processus mentaux brefs et intuitifs qui peuvent influencer les attitudes (ces évaluations positives ou négatives d’un certain objet, comme le loup) et sont impliquées dans les processus de prise de décision. Dans le contexte de la coexistence entre l'homme et la faune, ce sont surtout les dispositions émotionnelles qui ont été étudiées (c'est-à-dire les tendances stables et décontextualisées des individus à réagir d'une certaine manière à l'égard de la faune), contrairement aux états émotionnels (c'est-à-dire les réactions rapides suscitées dans des contextes spécifiques) qui ont été négligés, limitant ainsi la compréhension des états émotionnels et du rôle de la diversité émotionnelle dans la formation des attitudes à l'égard des espèces sauvages. Cette lacune vient d’être comblée par les travaux menés par une équipe internationale dont les résultats viennent d’être publiés.

Les scientifiques ont exploré la diversité des émotions exprimées par les habitants de régions rurales françaises dans des situations de rencontres avec des loups sauvages. Ils ont sélectionné de manière aléatoire vingt-quatre villes et villages dans des régions où les loups étaient soit présents soit absents et ont mené une enquête sociale en face-à-face avec les habitants.

Ils se sont intéressés à l’éventail d’émotions exprimées en réaction à de courtes vidéos. Ces vidéos décrivaient six types différents d’interactions avec les loups, aussi réalistes et immersives que possible, comme le fait de voir un loup sur un sentier de randonnée, une meute de loups sur la route, ou un loup rôdant autour d’un enclos de bétail.

Les résultats ont montré que les émotions les plus exprimées étaient dans l’ordre : la surprise, l’intérêt et la peur. Un résultat qui tend à montrer que les émotions négatives ou hostiles n’étaient pas prédominantes, tout en soulignant que même dans les paysages ruraux et dans un processus de recolonisation dynamique en France au cours des trois dernières décennies, les gens ne s’attendent pas à rencontrer des loups dans la nature. Le principal enseignement de cette étude est que dans l’ensemble, la grande diversité des émotions exprimées, avec des intensités variables selon les contextes d’interactions, ne dépeint pas une atmosphère particulièrement hostile envers le loup dans les paysages ruraux français. L'émotion de la colère, souvent mentionnée dans les débats publics sur la conservation des loups, n’était pas fortement associée au loup lui-même, mais reflèterait plutôt les conflits humains, soulignant la nécessité de traiter les injustices perçues, en particulier liées aux prédations potentielles sur le bétail.

En conclusion, comme les émotions sont des moteurs puissants de la prise de décision en matière de conservation des grands carnivores, les auteurs de l’étude suggèrent un changement de paradigme en atténuant les peurs irrationnelles vis-à-vis de ces animaux (les attaques sur l’homme sont quasi-inexistantes en Europe) parfois encouragées par les représentations généralement négatives relayées par la presse, mais aussi en favorisant les émotions positives telles que la joie et l’intérêt pour ces animaux afin de refléter les coûts, mais aussi les bénéfices potentiels associés à la présence de ces animaux dans notre environnement.