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Tamara Basta-Le Berre : comprendre les mécanismes moléculaires à l’œuvre chez les archées

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 26 avril 2024 , mis à jour le 03 mai 2024

Tamara Basta-Le Berre est chercheuse au département de microbiologie de l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA) et maîtresse de conférences en licence professionnelle de biotechnologies et de bio-industries (LP3 BIB) et en master 1 biologie-santé de l’Université Paris-Saclay. Spécialiste des archées, elle s’intéresse aux mécanismes moléculaires impliqués dans le métabolisme des acides nucléiques et à leur évolution chez ces organismes vivants.

Inspirée par les enseignantes et enseignants qu’elle admire depuis son plus jeune âge, c’est initialement pour enseigner en secondaire que Tamara Basta-Le Berre s’engage dans des études de biologie et de chimie en Croatie, pays dont elle est originaire. Un parcours qui semble tout tracé, jusqu’à ce que Tamara découvre le monde de la recherche. « J’ai en effet eu la chance pendant mes études de faire deux stages en Allemagne, à l’Institut de microbiologie de Stuttgart, au cours desquels j’ai découvert la vie de laboratoire, la manipulation, la recherche qui m’ont immédiatement passionnée ! », raconte la chercheuse qui décide, en 2000, de poursuivre ses études à Stuttgart en master puis en thèse. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler sur les mécanismes moléculaires conférant à certaines bactéries du sol la capacité de dégrader des composants polluants d’origine humaine. » C’est également à cette époque qu’elle rencontre son futur mari, un français, et fait un autre choix déterminant : celui de partir en France pour concilier sa vie privée et sa passion pour la recherche.


La découverte des archées

C’est à Paris, en 2005, qu’elle pose ses valises pour effectuer son post-doctorat au sein d’un laboratoire de l’Institut Pasteur travaillant sur les virus infectant les archées. « Moi qui jusque-là avais toujours travaillé sur les bactéries, j’ai alors commencé à m’intéresser aux archées – des microorganismes qui ressemblent morphologiquement aux bactéries mais qui phylogénétiquement sont plus proches des eucaryotes – et aux virus aux morphologies très particulières les infectant », explique la chercheuse. Une nouvelle thématique à laquelle elle consacrera trois ans et demi de recherche au sein de l’Institut Pasteur grâce à l’obtention d’une bourse. Mais désireuse de trouver un équilibre entre vie professionnelle et familiale, elle fait, en 2008, le choix de quitter Paris et de rejoindre le Laboratoire d’optique et de biosciences de l’École polytechnique, à Palaiseau (Essonne), pour travailler sur la découverte de nouveaux antibactériens ciblant le métabolisme d’ADN. Elle commence alors à chercher un poste de maîtresse de conférence qu’elle obtient en 2010 au sein de l’Université Paris-Sud et qui lui permet de rejoindre le laboratoire de Patrick Forterre, le fondateur de la recherche sur les archées en France.
 

Comprendre le rôle du complexe protéique KEOPS

« À peine arrivée dans le laboratoire, j’ai eu la très grande chance de me voir confier la codirection d’un doctorant – Ludovic Perrochia – ce qui m’a immédiatement dynamisé ma recherche », indique la chercheuse. Ensemble, ils tentent de comprendre le rôle d’un complexe protéique – appelé KEOPS – dans la synthèse d’une modification clé d’ARN de transfert, nommée t6A. « On avait beau savoir que cette modification, connue depuis 40 ans, était importante pour la qualité de la traduction, on ne savait pas comment elle était fabriquée dans la cellule. Notre travail a consisté à faire le lien entre cette modification t6A et le complexe KEOPS. Nous avons notamment reconstitué l’intégralité de la réaction menant à la fabrication de t6A au niveau d’ARN de transfert et précisé le rôle de chaque constituant du complexe KEOPS dans cette réaction. Une découverte très importante puisqu’elle a servi à faire le lien entre les mutations dans les gènes codant le KEOPS et une maladie génétique grave "le syndrome de Galloway-Mowat". »
 

Le tournant vers un nouveau sujet de recherche

Forte de cette dynamique de recherche très positive, et son Habilitation à diriger des recherches (HDR) en poche depuis 2014, Tamara Basta-Le Berre recrute un 3e doctorant, Paul Vilain, avec lequel sa carrière prend un nouveau virage. « Au début, je comptais poursuivre mes recherches sur KEOPS, mais Paul souhaitait travailler sur un sujet plus orienté vers des questions d’évolution. Je me suis alors dit : pourquoi pas ? », se souvient la chercheuse. L’expérience menée au début consistait à introduire dans une archée le gène codant une enzyme topoisomérase, nommée la gyrase, dont la fonction est de décompacter localement l’ADN. « Il s’agissait de mimer ainsi un événement évolutif qui s’est produit il y a des millions d’années, lorsqu’une archée ancestrale a acquis la gyrase d’une bactérie. Nous pensions cependant que cette expérience était vouée à l’échec et que la cellule d’une archée moderne n’est plus adaptée pour survivre à un tel évènement. Or, à notre grande surprise, l’archée a très bien supporté le changement majeur de la topologie de son ADN induit par la gyrase. J’ai trouvé très intéressant ce résultat montrant que, chez les archées, le mécanisme contrôlant la topologie d’ADN ne ressemblait pas à celui que l’on connaît chez les bactéries. C’est pourquoi, dès 2018, j’ai décidé d’orienter toutes mes recherches sur ce sujet. » Des travaux qui lui valent l’obtention, en 2023, du prix Maurice Nicloux de la Société française de biochimie et de biologie moléculaire.


La création d’une nouvelle équipe de recherche

Dans la continuité des cinq années de recherche consacrées à cette thématique ayant déjà donné lieu à des publications, Tamara Basta-Le Berre travaille actuellement à la construction d’un projet de recherche ambitieux, qui sera porté par une nouvelle équipe au sein de l’I2BC à partir de mars 2025. « Construire un projet né d’une question de curiosité et structurer un tel programme de recherche est un challenge passionnant », s’enthousiasme la chercheuse. Pour approfondir cette question de la topologie d’ADN chez les archées, la nouvelle équipe DNA Topology in Archaea organisera ainsi sa recherche autour de quatre axes principaux : comprendre le rôle physiologique des topoisomérases que l’on retrouve chez les archées ; mieux appréhender leur émergence et évolution ; comprendre comment la topologie d’ADN affecte le repliement global du chromosome ; comprendre quelle est la contribution de la topologie de l’ADN dans la réponse au stress de ces micro-organismes. « Nous collaborons d’ores et déjà, sur l’axe "Rôle physiologique", avec un laboratoire de l’Institut Karolinska, en Suède, spécialiste de la topologie d’ADN chez les eucaryotes. Nous travaillons également à la mise en place de nouvelles collaborations, notamment sur l’axe "Évolution" avec Violette da Cunha, titulaire d’une chaire professeure junior au Genoscope, sur l’axe "Résistance au stress" avec un laboratoire de Bordeaux spécialiste des systèmes microfluidiques permettant de travailler à très haute température et très haute pression, et sur l’axe "Topologie du chromosome" avec un programme de recherche transversal de l’I2BC », précise la chercheuse.


La curiosité, la confiance et le dialogue comme moteurs

De Stuttgart à Paris, de l’Institut Pasteur à l’Université Paris-Sud en passant par l’École polytechnique : le parcours de Tamara Basta-Le Berre est loin d’avoir été linéaire. « Depuis que je fais de la recherche, j’ai toujours eu la conviction que la confiance en nos étudiantes et étudiants, et le dialogue avec nos pairs sont nos meilleures armes pour construire de grandes choses », précise-t-elle. Des valeurs que Tamara Basta-Le Berre vit également avec l’équipe pédagogique de la licence professionnelle Biotechnologie et bio-industrie dans laquelle elle enseigne. « Ensemble, nous n’avons eu de cesse de proposer des évolutions pédagogiques – réflexion sur les compétences, pédagogie inversée ou enseignement par projet – pour faire évoluer cette licence, aujourd’hui construite sur un parcours en trois années. J’ai toujours aimé ce travail d’équipe, avec des personnes complémentaires et motivées, dont je suis convaincue qu’elles ont, elles aussi, contribué, par leur soutien, au développement de mon activité de recherche », conclut Tamara Basta-Le Berre.

 

Tamara Basta-Le Berre