Aller au contenu principal

Planète en souffrance : l’avenir se joue maintenant (L'Edition #12)

Recherche Article publié le 27 mai 2020 , mis à jour le 03 juin 2020

(Article issu de l'Edition n°12 - mars 2020)

Les scientifiques du monde entier dressent un alarmant état des lieux des pressions exercées par l’Homme et le changement climatique sur les écosystèmes et la biodiversité de la planète. Ils proposent des éléments de solution face aux risques à venir.

Le temps presse. Jamais une année n’aura à ce point été décisive pour le destin de la planète et de ses habitants. De toutes parts, la communauté scientifique mondiale se mobilise. La publication coup sur coup l’année dernière des rapports spéciaux du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des nouvelles simulations numériques réalisées par l’infrastructure nationale de modélisation du système climatique de la Terre CLIMERI-France, et du rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), témoigne de la nécessité et de l’urgence d’agir en profondeur.

Alors que la 25e conférence des parties (COP25) de la convention sur le climat vient de s’achever à Madrid, 2020 s’ouvre sur un calendrier à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux : congrès mondial de la nature (UICN) en juin à Marseille, 15e conférence des parties (COP15) de la convention sur la diversité biologique en octobre en Chine, COP26 sur le climat en novembre à Glasgow. Tous les gouvernements appelés à se réunir savent déjà qu’ils n’ont d’autre choix que de redoubler d’efforts pour réduire drastiquement leurs émissions carbonées et les autres pressions sur la biodiversité, et limiter l’ampleur de la crise.

L’objectif des accords de Paris de 2015 – à savoir contenir la hausse des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels – semble aujourd’hui de plus en plus compromis. Le réchauffement planétaire actuel atteint +1 °C et chaque demi-degré supplémentaire compte. Biodiversité, océans, pêche, agriculture, accès à l’eau, santé, tous les domaines sont déjà touchés et le seront encore davantage, menaçant la sécurité alimentaire mondiale. Pour éviter un réchauffement climatique de 2 °C à la fin du siècle, les rejets de CO2 doivent diminuer de 25 % d’ici 2030 et devenir nuls en 2070. Pour rester en-dessous de +1,5 °C, ces émissions doivent être réduites de moitié d’ici 2030 et nulles en 2050.

Développées dans le cadre de la préparation du sixième rapport d’évaluation du GIEC – à paraître fin 2021 –, les simulations numériques de la plateforme CLIMERI-France, diffusées en septembre 2019, sont les premières du programme d’intercomparaison des modèles du climat (CMIP) dans sa phase actuelle. Ces modélisations françaises arguent d’un réchauffement en 2100 plus important qu’estimé précédemment : +6,5 à +7 °C par rapport à l’ère préindustrielle selon le scénario le plus pessimiste des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre. « Dans le monde, il existe une vingtaine de centres de modélisation du climat et une trentaine de modèles de simulation à 100 ans, explique François-Marie Bréon, directeur- adjoint du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Université Paris-Saclay, UVSQ, CNRS, CEA). CLIMERI réunit les deux modèles français : celui de l’Institut Pierre-Simon Laplace, auquel concourent le LSCE et le Laboratoire “atmosphère, milieux, observations spatiales” (LATMOS – Université Paris-Saclay, UVSQ, Sorbonne Université, CNRS), et celui du Centre national de recherches météorologiques. »

 

Des experts du climat au chevet de la planète

Organe des Nations unies créé en 1988, le GIEC est une des plus importantes organisations intergouvernementales contribuant à l’enrichissement des connaissances sur l’évolution du climat. Son objectif est de fournir aux décideurs, à intervalles réguliers, des évaluations liées aux changements climatiques, pour les aider à asseoir leurs politiques climatiques. Ces rapports se basent sur la littérature scientifique et en présentent une synthèse objective et transparente, ainsi que des stratégies d’adaptation et d’atténuation. « Le GIEC ne réalise pas de recherches en propre. Il regarde ce sur quoi il y a consensus ou non. Si les données d’observation ou théoriques manquent et qu’il n’y a pas de relation physique claire, il se montre prudent en donnant des intervalles de confiance », souligne François-Marie Bréon.

Trois rapports spéciaux, commandés à la suite de la COP21, ont été publiés en octobre 2018, août 2019 et septembre 2019. Ils abordent respectivement les effets d’un réchauffement climatique à +1,5 °C ou +2 °C, les pressions des êtres humains et du changement climatique sur les terres émergées, et les répercussions du changement climatique sur les océans et la cryosphère (les portions de glace de la planète). Pour chacun, plus d’une centaine d’experts issus de plusieurs dizaines de pays ont été mobilisés et des milliers de publications scientifiques, jusqu’à 7 000 pour celui sur l’océan et la cryosphère, ont été référencées.

 

Océan et cryosphère en péril

Eléments indispensables à la vie sur Terre, l’océan et la cryosphère s’avèrent durement touchés. Jusqu’à présent, l’océan a absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire de la planète, et 20 à 30 % des émissions anthropiques de CO2. Résultat : il se réchauffe et s’acidifie. Ce réchauffement réduit son brassage et diminue l’apport en oxygène et en nutriments de la faune et la flore marines : il devient moins fécond, avec des effets néfastes pour la pêche.

De la même manière, les glaciers, la neige, la glace et le pergélisol – la partie du sol gelée en permanence – subissent un inexorable déclin. Les plus petits glaciers perdraient jusqu’à 80 % de leur masse actuelle d’ici 2100. La fonte du pergélisol devrait se généraliser au XXIe siècle. Un réchauffement planétaire nettement inférieur à 2 °C entrainerait son dégel en surface à hauteur de 25 %, un chiffre qui grimpe à 70 % si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter fortement. Le carbone organique renfermé par le pergélisol arctique et boréal, et libéré sous l’action du dégel, entrainerait alors une forte hausse des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les glissements de terrain, les avalanches, les chutes de pierre et les inondations s’accentueront, impactant sérieusement les loisirs, le tourisme et les biens culturels. Aujourd’hui 670 millions de personnes vivent dans des régions de haute montagne et l’Arctique accueille quatre millions de personnes. Des populations parmi les plus exposées aux aléas et à la diminution d’eau disponible.

La fonte des glaciers et des calottes glaciaires fera monter le niveau de la mer : entre 30 à 60 cm d’ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre diminuent fortement et le réchauffement climatique se limite à +2 °C, et entre 60 à 110 cm dans le cas contraire. Cette élévation conduira à ce que les évènements extrêmes (cyclones, tempêtes) aboutissent à des inondations dévastatrices beaucoup plus souvent que par le passé. 680 millions de personnes vivent actuellement dans des zones côtières à faible élévation et 65 millions dans de petits États insulaires.

 

Menaces sur la biodiversité

Paru au printemps 2019, le rapport de l’IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité mondiale – pose un bilan des changements survenus ces dernières décennies sur la biodiversité et les écosystèmes naturels. Plusieurs centaines d’experts internationaux ont épluché plus de 15 000 références scientifiques, sources gouvernementales et savoirs autochtones et locaux. Leur conclusion est sans appel : sur les huit millions d’espèces animales et végétales que compte la planète, environ un million est aujourd’hui menacé d’extinction. Plus de 40 % des amphibiens, un tiers des récifs coralliens et des mammifères marins, un quart des vertébrés terrestres et d’eau douce, 10 % des insectes sont en péril. Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces dans leur habitat terrestre a diminué de 20 %.

Outre le changement climatique, quatre facteurs sont en cause : un changement d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, la pollution et les espèces exotiques envahissantes. Alors que les vingt objectifs d’Aichi en matière de biodiversité risquent de ne pas être atteints en 2020, certaines de leurs déclinaisons vont pourtant dans le bon sens. « Il y a par exemple plus d’aires protégées, plus de moyens alloués à la protection de la nature », souligne Paul Leadley, du laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech) et auteur principal du rapport. Dans le même temps, l’ensemble des indicateurs de biodiversité est en déclin. « Le problème vient du fait que les pressions exercées sur la biodiversité continuent d’augmenter : occupation des terres, écosystèmes grignotés par l’urbanisme ou l’agriculture, surpêche et pêche illégale, changement climatique, etc. Il faut donc agir sur les deux aspects : protéger la biodiversité et soulager les pressions exercées. »

Car la perte de biodiversité est à la fois un problème environnemental mais aussi économique, sociétale et éthique. « Des efforts ont été réalisés sur certains polluants, tels que l’azote ou le phosphore. Mais d’autres apparaissent, comme les plastiques, qui constituent aujourd’hui un véritable fléau », commente Paul Leadley. Depuis 1980, leur pollution a été multipliée par dix. Et le chercheur de continuer : « La biodiversité rend service à l’Homme. La plupart de nos aliments - plus de trois quarts des cultures vivrières mondiales – sont pollinisés par les abeilles domestiques et d’autres pollinisateurs. Avec leur déclin, on observe une baisse des rendements agricoles. » Sans compter l’importance médicinale : 70 % des médicaments anticancéreux naturels ou synthétiques sont issus de la nature et près de 4 milliards de personnes dépendent principalement des médecines naturelles.

« Il faut intégrer l’idée que toutes nos actions ont un impact à l’échelle globale : c’est le “ telecoupling ", précise Paul Leadley. Par exemple, lorsqu’on achète de la viande en France, il est fort probable que l’animal d’origine ait été nourri avec du soja du Brésil. Et que l’huile de palme contenue dans notre pâte à tartiner soit liée à la déforestation. » Sans oublier la question des espèces invasives, « qui posent des problèmes aux espèces locales, en termes d’occupation des écosystèmes ou de santé. La grande majorité transitant par bateau ou en avion, les échanges commerciaux en accélèrent l’introduction. »

 

La nécessité d’un changement transformateur

Face à ces constats, les rapports du GIEC et de l’IPBES proposent des éléments de solution. En comparant différents scénarios d’évolution et leurs impacts d’ici 2050, l’IPBES indique que sous l’hypothèse d’une transformation majeure des sociétés, il serait possible de stopper la perte de la majorité des indices de biodiversité, voire les améliorer, et de fortement diminuer le taux d’extinction des espèces. « On peut encore éviter le pire », confirme Paul Leadley. Le GIEC signale qu’outre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, une gestion durable des terres, une réduction de la surconsommation et du gaspillage de la nourriture – un tiers des aliments produits aujourd’hui sont perdus ou gaspillés –, l’arrêt du défrichement et du brûlage des forêts, et une moindre consommation de bois de chauffage constituent des stratégies pertinentes pour résoudre les problèmes de changement climatique en lien avec les terres émergées.

Paul Leadley approuve : « En limitant autant que possible le réchauffement climatique et en diminuant les pressions exercées sur les écosystèmes, les espèces gagneraient en résilience et en résistance. » Mais cela implique une modification profonde des sociétés. « Par exemple, sans devenir tous végétariens, on pourrait nourrir dix milliards d’êtres humains rien qu’en mangeant moins de viande, car l’alimentation des bovins et des ovins exerce de fortes pressions sur les terres. » François-Marie Bréon complète : « Pour limiter l’augmentation de température à +1,5 °C, il nous faut sortir de nos mauvaises habitudes et aller vers davantage de sobriété, comme réduire le transport aérien. »

« Au même titre que le réchauffement climatique, la biodiversité doit devenir une priorité de l’ensemble des gouvernements, de nos entreprises et des citoyens. Il faut l’envisager comme un tout pour aller vers un changement de société plus profond », conclut Paul Leadley. Un changement appelé désormais à grands cris, pour le bien de tous.

 Références

www.ipcc.ch

www.climeri-france.fr

www.ipbes.net