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Les maths à Paris-Saclay : excellence et humanisme à la 1ère place mondiale

Vie de l'université Article publié le 30 juillet 2020

Avec l’Université Paris-Saclay, la France décroche la 1ère place mondiale en Mathématiques  au classement de Shanghai 2020. Points clefs d’un succès espéré et collectif.

L’Université Jiao Tong de Shanghai a publié, le 29 juin 2020, son classement international annuel des universités par discipline (ARWU, Academic Ranking of World Universities). L’Université Paris-Saclay, qui concourt pour la première fois cette année en son nom propre, assume son statut d’université de recherche intensive de rang international en étant classée 9ème en physique (1ère en Europe) et dans le Top 25 mondial en médecine et en agriculture. Elle est surtout classée 1ère en mathématiques, résultat qui peut sembler stupéfiant et qui mérite, en tout cas, qu’on s’y attarde un peu

Une tradition française

Ce résultat raconte une histoire et une aventure : l’histoire d’une discipline qui, en France, semble être enracinée dans la culture  aussi fortement  que le ping-pong en Chine et l’aventure de pionniers qui ont eu l’ambition d’installer cette discipline au plus haut niveau mondial dans des institutions réunies aujourd’hui sous l’égide de l’Université Paris-Saclay.  La nature fondamentale de la discipline veut que cette histoire et cette aventure se soient écrites grâce à l’émergence de personnalités scientifiques hors du commun, capables d’installer l’excellence comme une vertu, forçant une réussite qui semblait inéluctable mais qui pourtant possède aussi la fragilité touchante des destinées humaines.  

Comme souvent en sciences et en France, l’histoire mathématique trouve une explication dans l’Histoire. Il convient de remonter au siècle des Lumières, pour assister à la naissance de la tradition d’une Mathématique qui valorise à la fois les connaissances, le raisonnement et aussi la capacité à expliquer et à appliquer.

La France est une pépinière de talents en mathématique et l’école mathématique française est régulièrement honorée par l’attribution de la prestigieuse médaille Fields à l’un de ses membres (pour mémoire la médaille Fields est la plus haute distinction accordée tous les quatre ans à au plus quatre mathématiciens de moins de quarante ans). Cette réussite d’aujourd’hui est donc celle de la communauté mathématique française dans son ensemble qui, une fois de plus, est reconnue au plus haut niveau mondial avec cette première place mais aussi la troisième place de Sorbonne-Université ainsi que la dixième place de Paris-Sciences-Lettres.

Mais cette première place raconte aussi la double aventure d’une installation pionnière dans les années 60 de nouveaux campus au sud de Paris, les pieds dans la boue et dans le tumulte de mai 68 avant que l’histoire ne se répète en 2010 avec la gigantesque construction du « cluster » scientifique de Paris-Saclay.

"L’excellence en mathématiques est un sport national et à Paris-Saclay, deux étoiles brillent tout particulièrement depuis la fin des années 50 : l’IHES et le département de mathématiques d’Orsay"
Pascal Massart , directeur de la Fondation Mathématique Jacques Hadamard

Un enracinement local dès la fin des années 50

La fin des années cinquante est une période charnière de l’histoire du monde et des sciences. Léon Motchane, un industriel d’origine russe, est un passionné de mathématique. Déterminé à offrir à des scientifiques d’exception un lieu propice à l’épanouissement libre de leurs recherches, il s’inspire du modèle de l’Institute for Advanced Study (IAS) à Princeton  pour créer en 1958 l’IHES, dédié aux sciences théoriques, tant mathématiques que physiques, et à leurs interactions.

L’année 1958 est aussi celle qui voit René Thom recevoir la médaille Fields, il rejoindra l’IHES en 1963 au moment même où l’IHES s’installe  sur le campus de Bures sur Yvette que nous lui connaissons aujourd’hui. Enfin, c’est également en 1958 qu’on transfère à  Orsay une partie des enseignements de la faculté des sciences de Paris, car depuis quelques années, un immense campus se déploie sur le plateau et dans la vallée autour de nouvelles recherches théoriques et expérimentales en physique.

Curieusement l’IHES est longtemps resté sans laboratoire à proprement parler. Ce n’est que tout récemment qu’a été créé en son sein une unité associée au CNRS qui porte le nom d’Alexandre Grothendieck, du nom du prestigieux mathématicien qui arriva dès 1958 à l’IHES et devint lauréat en 1966 de  la médaille Fields. Alexandre Grothendieck immense figure des mathématiques dans le domaine de la géométrie algébrique a eu une influence considérable sur le développement intellectuel de jeunes professeurs nouvellement arrivés au départe-ment de mathématique d’Orsay. Ce fut là le début d’une longue histoire faite d’émulation et de fertilisation scientifique croisée entre ces deux haut lieux  des mathématiques dont plusieurs des membres ont connu par la suite les honneurs de l’attribution d’une médaille Fields. Pour l’IHES : en 1978 Pierre Deligne, en 1982 Alain Connes en 1994 Jean Bourgain et en 1998 Maxim Kontsevich. Pour Orsay : en 1994  Jean-Christophe Yoccoz, en  2006  Wendelin Werner et en 2010 a Ngô Bao Châu. Laurent Lafforgue quant à lui reçoit cette récompense en 2002. Formé à Orsay, il vient d’être recruté à l’IHES deux ans plus tôt.

"Cette première place en 2020 traduit une réalité : la capacité à déployer une culture du recrutement de haut niveau, totalement international en le rendant compatible avec les modes de sélection français."
Pierre Pansu, Professeur à l’Université Paris-Saclay

Une réalité d’excellence portée par une politique d’ouverture et de cohésion

L’IHES  est  donc née d’une idée de mécénat magnifiquement exotique que l'institut a ensuite soigneusement cultivée et développée avec l’obsession de recruter les meilleurs professeurs au standard international le plus élevé dans un univers relativement peu contraint, sinon par les moyens financiers dont la quête constitue le rocher de Sisyphe de cette institution. Dans un département universitaire comme le département de mathématiques d’Orsay, recruter les meilleurs professeurs suivant des standards internationaux élevés constitue une gageure en terme d’attractivité et de mise en place de procédure dans un monde universitaire français où les règles à suivre sont aussi nombreuses que changeantes. C’est pourtant cette culture d’ouverture à l’international, aussi bien pour identifier un vivier de candidats brillants que pour réaliser les recrutements qui s’est imposée très tôt, notamment sous l’impulsion de John Coates. Ce « savoir-recruter » qu’il a importé avec lui s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui s’adaptant au fil du temps aux variations d’une législation caméléon.

Lorsqu’on évoque l’attractivité on ne peut passer sous silence le rôle décisif qu’a joué le CNRS en mathématiques en aidant à installer l’idée -qu’à l’instar de ce qui se passe dans la plupart des pays du monde, la recherche de haut niveau s’effectue principalement dans les universités par des universitaires.

C’est ainsi que nombre de chercheurs junior en mathématique au CNRS imaginent leur promotion sous la forme d’un poste de professeur dans le département de mathématiques d’une université, si possible de la qualité de celui de la faculté des sciences d'Orsay. On ne peut ignorer non plus l’atout majeur pour l’attractivité que constituent les conditions d’exercice du métier. De ce point de vue, la très grande liberté d’action et de choix de directions de recherche ainsi que la présence d’un vivier d’étudiants de master et de doctorat d’une qualité exceptionnelle  ont constitué depuis ses débuts des atouts très importants pour le département de mathématiques d’Orsay.

Sans oublier que le département de Mathématique d’Orsay à lui seul figurait entre le 5ème et le deuxième rang du classement de Shanghai selon les années, si aujourd’hui une étape a été franchie qui permet à l’Université Paris-Saclay de se classer première en mathématiques, c’est bien sûr grâce à chacun des neuf laboratoires de mathématiques qu’elle regroupe à Orsay et à l’IHES  et aussi à l’ENS Paris-Saclay, à Versailles, à Evry, à CentraleSupelec, à AgroParisTech, à INRAE Jouy en Josas et au CEA. C’est enfin grâce aux moyens investis par la puissance publique dans la Fondation Mathématique Jacques Hadamard (FMJH) que le message de cohésion indispensable au succès de cet ambitieux projet a trouvé en mathématiques une expression particulièrement vigoureuse et efficace, permettant l’installation d’un master et d’une école doctorale à une échelle qui les rendent visibles au niveau mondial.

"C'est évidemment la dynamique de la construction de l'Université Paris-Saclay qui a permis la convergence de toutes ces forces. Nous obtenons aujourd'hui les fruits du courage et de la ténacité d'une femme, Sylvie Retailleau, qui a sauvé le projet de création de l'Université Paris-Saclay qui semblait, à un moment, dans une impasse et qui en assure aujourd'hui la présidence."
Emmanuel Ulmo, directeur de l’IHES

Une première place à défendre

Les mathématiques nécessitent prioritairement des investissements humains : pas de gros équipements financièrement inaccessibles pour une université française, pas de  laboratoires aux conditions expérimentales complexes et contrôlées.  Par contre les conditions de travail sont fondamentales pour que se réalise l’alchimie attendue entre les cerveaux, les rencontres, les idées et l’appétit d’apprendre des mathématiciens en herbe.

Les mathématiques  à l’Université Paris-Saclay  comme toutes les mathématiques françaises sont donc face à  leur destin pour défendre et  garder ce statut, pour la France, de grand pays chercheur et formateur en mathématiques : il faut continuer à investir dans la formation des jeunes chercheurs,  garantir la liberté de chercher et de penser mais aussi valoriser le doctorat et faire entrer des cerveaux très bien faits en mathématiques dans les entreprises pour résoudre les problèmes pas seulement liés à leur discipline mais tous les problèmes complexes qu’une entreprise à résoudre au quotidien.

Naturellement, ce défi-là passera par le développement des interfaces des mathématiques avec  l’IA qui concerne des branches des mathématiques de plus en plus variées (statistique, optimisation, transport optimal, géométrie etc…) mais pas seulement. Il faut tenir compte de l’imprévisibilité qui veut qu’un concept mathématique considéré comme inutile un jour peut trouver une application cruciale le lendemain. L’histoire scientifique fourmille d’exemples qui poussent à la prudence et à la modestie dans le jugement en la matière, nous encourageant à croire encore et toujours en la science fondamentale. Aujourd’hui l’aventure continue sur Paris-Saclay avec la Graduate School de mathématiques et la FMJH pour défendre les valeurs qui ont sur la longueur forgé le succès d’aujourd’hui : Excellence, Ouverture, Humanisme et Cohésion.

De notre capacité à rendre conciliables « attractivité scientifique » et « transformation pédagogique » afin que les meilleurs étudiants et les meilleurs scientifiques soient désireux de venir travailler dans un des lieux d’enseignement et de recherche en mathématique de cette belle université dépendra la pérennité de notre succès. Comme le diront nos petits enfants: pas besoin d’avoir fait Paris-Saclay pour comprendre qu’il va falloir continuer à travailler !

Les mathématiques dans l'Edition, le journal scientifique de l'Université Paris-Saclay

l'Edition 8

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l'Edition 12

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Recherche : À la recharge des batteries électrochimiques de demain
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