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Endométriose : la grande inconnue

Recherche Article publié le 02 février 2023 , mis à jour le 08 mars 2024

Dans le cadre de la 20e semaine européenne de prévention et d'information sur l'endométriose, qui a lieu du 4 au 10 mars 2024, nous vous proposons de vous replonger dans cet article du numéro 20 de L'Édition.

L’endométriose touche environ 200 millions de femmes dans le monde, est décrite depuis l’Antiquité et peut provoquer des douleurs handicapantes au quotidien et une infertilité. Pourtant, cette maladie reste fortement méconnue, tant par les scientifiques que par le grand public. Des chercheurs et chercheuses tentent aujourd’hui de sortir l’endométriose de l’ombre.

Aujourd’hui, on estime que l’endométriose touche une femme sur dix en âge de procréer (des premières règles, la ménarche, jusqu’à la ménopause), soit environ 1,5 millions de femmes en France d’après le ministère de la Santé, et près de 200 millions dans le monde d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette maladie est liée à l’endomètre, la muqueuse recouvrant la paroi interne du corps de l’utérus. L’endométriose se caractérise par la présence extra-utérine de tissus semblables à ceux de l’endomètre. La douleur récurrente et souvent invalidante – qu’elle soit ressentie durant les règles (dysménorrhée), les rapports sexuels (dyspareunie), la défécation (dyschézie), localisée dans la zone pelvienne ou abdominale – est son principal symptôme. L’infertilité, les troubles digestifs et urinaires en période menstruelle, ou une fatigue chronique peuvent aussi être relevés. S’il faut attendre 1860 pour que le médecin pathologiste autrichien Karel Rokitansky utilise le premier le terme d’endométriose, les symptômes de la maladie sont déjà décrits depuis près de 4 000 ans et notamment à l’époque de l’Égypte antique.

Pourtant, l’endométriose est encore aujourd’hui très peu connue. Un constat contre lequel lutte Marina Kvaskoff, épidémiologiste au sein de l’équipe Exposome, hérédité, cancer et santé du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, Inserm). La chercheuse est notamment responsable scientifique et présidente du conseil scientifique de l’étude de cohorte ComPaRe-Endométriose de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), présidente du conseil scientifique de la Fondation Recherche Endométriose et co-pilote du groupe de travail « recherche » de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. « On dit que l’endométriose touche une femme sur dix, mais c’est un chiffre très grossier, qu’il est essentiel de préciser. Une partie de mon travail est d’essayer de mieux comprendre l’hétérogénéité de la maladie, ses différentes formes. Aujourd’hui, au-delà de la courte définition que nous avons de la maladie, il existe un grand nombre de questions basiques la concernant, pour lesquelles nous n’avons aucune réponse, exprime-t-elle. Quels sont les facteurs de risque de cette maladie ? L’environnement a-t-il une influence sur le risque de la développer ? Quel est le rôle de la génétique, et quels gènes en particulier ? Comment la maladie évolue-t-elle dans le temps ? Quand et comment commence-t-elle ? »

 

Ce que l’on sait de l’endométriose

Lorsque vient le moment des règles, l’endomètre est naturellement éliminé. Chez les femmes atteintes d’endométriose, du tissu endométrial modifié se retrouve implanté dans la cavité pelvienne, à l’extérieur de l’utérus. On classe la maladie selon quatre macrophénotypes. Lorsque les lésions ne dépassent pas quelques millimètres de diamètre, l’endométriose est dite superficielle ou péritonéale. Si les lésions font plus de cinq millimètres et sont profondément inscrites sous le péritoine, la membrane recouvrant la cavité abdominale dans son ensemble, on parle d’endométriose profonde. Il arrive aussi que des kystes endométriosiques apparaissent sur les ovaires : ce sont des endométriomes. Enfin, l’endométriose extra-pelvienne décrit l’apparition de lésions typiques de la maladie au niveau d’organes éloignés de l’utérus : le diaphragme ou plus rarement les poumons voire le cerveau. « En revanche, et c’est assez perturbant, les stades existants de la maladie ne sont pas corrélés aux symptômes, avertit Marina Kvaskoff. En effet, une femme atteinte d’endométriose profonde peut être asymptomatique tandis qu’une patiente peut énormément souffrir d’une endométriose superficielle. »

Autre fait notable : l’endométriose est une maladie hormono-dépendante. Les lésions prolifèrent en présence d’oestrogènes, produites en d’énormes quantités au moment des règles. Supprimer les règles, par la pilule contraceptive, est donc l’un des traitements proposés pour l’endométriose. « La pilule est le traitement médicamenteux de première intention », explique Marina Kvaskoff. La chirurgie est également possible, dans le but de retirer les lésions. « Malheureusement, les lésions peuvent revenir après chirurgie chez certaines patientes. Il existe différents types de parcours et la chirurgie peut être salvatrice comme elle peut ne pas fonctionner du tout, voire empirer la situation. Il semblerait qu’il existe une récurrence des lésions et des douleurs dans certains cas », ajoute la chercheuse.

Il existe quatre grandes théories expliquant la pathogénèse de l’endométriose. La théorie du reflux, dite des menstruations rétrogrades, est la plus communément décrite. À l’origine de cette hypothèse, l’idée qu’un reflux des menstruations s’opère durant les cycles menstruels à travers les trompes de Fallope, reliant les ovaires à l’utérus. Les tissus de l’endomètre s’implantent alors dans la cavité pelvienne. Cependant, cette théorie n’explique pas tous les cas d’endométriose, et d’autres hypothèses existent. La théorie in-situ explique par exemple, en attribuant une origine embryonnaire à la maladie, pourquoi l’endométriose touche certaines femmes atteintes du syndrome de Rokitansky (absence d’utérus et des trompes de Fallope), ou avant leurs premières règles, et certains hommes. En revanche, cette théorie implique une distribution uniforme des lésions dans le péritoine ; or, les observations montrent que les lésions se concentrent plus souvent du côté gauche. La théorie lympho-vasculaire avance que les cellules de l’endomètre utilisent les canaux lymphatiques et vasculaires, à l’instar des métastases, pour se déplacer jusqu’à des sites ectopiques. « Cette théorie, si elle explique parfaitement les cas d’endométriose extra-pelvienne, n’explique pas les autres cas recensés de la maladie », commente Marina Kvaskoff. Enfin, la théorie des cellules souches explique les cas d’endométriose observés chez des nourrissons et notamment la présence de saignements vaginaux chez le nouveau-né. « Concrètement, aucune théorie n’explique tous les cas d’endométriose observés jusqu’à présent. Il est même possible que plusieurs d’entre elles surviennent chez un même individu ! » complète la chercheuse.

 

 

L’écoute des patientes, pierre angulaire du diagnostic

« Concernant le diagnostic de la maladie, il n’existe pas de biomarqueurs validés de l’endométriose. Le moyen de détection de référence reste l’imagerie : échographies endovaginales et IRM du pelvis, la partie basse du bassin, poursuit l’épidémiologiste. Le problème est qu’il n’y a pas assez de radiologues suffisamment formés pour détecter les lésions, qui peuvent d’ailleurs être presque invisibles pour un oeil non-expert. Nous avons besoin de meilleurs outils de diagnostic, mais aussi d’une meilleure écoute des patientes. »

Les questionnaires ont un rôle majeur à jouer dans la prise en charge et le diagnostic de l’endométriose. Arnaud Fauconnier est directeur du laboratoire Risques cliniques et sécurité en santé des femmes et santé périnatale (RISCQ – Univ. Paris-Saclay, UVSQ). Ses travaux se concentrent notamment sur les outils de mesure de diagnostics et de qualité de vie des patientes. Gynécologue-obstétricien de formation, Arnaud Fauconnier est également à l’origine d’Endocap, un programme de recherche concernant l’endométriose et la mesure de la qualité de vie des patientes et du handicap que représente la maladie pour elles. « Le diagnostic de l’endométriose est extrêmement difficile, car c’est une maladie qui peut être invisible durant les examens gynécologiques de routine », explique le gynécologue. Le programme s’appuie sur une base de données concentrant près de 1 000 patientes porteuses d’endométriose. C’est à l’aide d’un questionnaire, baptisé ENDOL-4D et rempli de manière autonome par les candidates, que sont mesurés les symptômes et l’altération de la qualité de vie.

La Communauté de patients pour la recherche (ComPaRe) est une cohorte de patients souffrant de différentes maladies chroniques et acceptant de participer à la recherche sur ces maladies à l’aide de questionnaires. En 2019, la sous-cohorte sur l’endométriose y est lancée. Coordinatrice de l’étude, Marina Kvaskoff loue l’importance de ce modèle participatif dans la recherche : « En contribuant à ComPaRe-Endométriose, en répondant à des questionnaires concernant leur maladie, leur quotidien et leurs souffrances, les patientes sont actrices de la recherche ». Plus de 10 000 patientes ont jusqu’à aujourd’hui participé à l’étude, et des premiers résultats concernant les perspectives des patientes pour améliorer leur prise en charge ont été publiés en janvier 2023.

 

Une errance diagnostique terrifiante et inacceptable

En parallèle des questionnements concernant la pathogénèse et les outils de détection de l’endométriose, l’errance diagnostique autour de cette maladie est également une problématique majeure. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le délai moyen entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est compris entre sept et dix ans. « La plupart des femmes atteintes ont consulté un médecin environ cinq fois avant d’obtenir le bon résultat. Cette errance diagnostique est terrifiante, inacceptable », déplore Arnaud Fauconnier.

« Comment expliquer ce délai immense ? se questionne Marina Kvaskoff. Nous faisons face à plusieurs problèmes. D’une part, la banalisation des symptômes. Les femmes victimes de douleurs durant les règles ne s’inquiètent généralement pas immédiatement, et malheureusement leur entourage et le personnel médical non plus. Dans ComPaRe-Endométriose, on relève de nombreux témoignages de patientes rapportant que beaucoup de médecins passent tout simplement à côté des symptômes, par manque de formation, ou rétorquent carrément “C’est dans votre tête”. La formation des professionnels de santé est lacunaire pour reconnaître la maladie. »

Cette période d’errance ajoute de la souffrance aux patientes et se traduit également en un casse-tête méthodologique au sein de la communauté scientifique. « Toutes les études réalisées jusqu’à présent se focalisent sur le diagnostic de l’endométriose. Finalement, il est complexe de travailler sur le risque d’endométriose ou sur les débuts de la maladie car très souvent, ce sont des cas d’endométriose qui ont pu accéder au diagnostic que nous observons, et des patientes porteuses de la maladie depuis plusieurs années », constate Marina Kvaskoff.

En somme, voilà une maladie décrite depuis quatre millénaires dont ne sont connus avec certitude ni les causes, ni les formes, ni les moyens de diagnostic. Pour Marina Kvaskoff, c’est tout sauf un hasard si la recherche sur l’endométriose manque de moyens, alors que la maladie ne touche que les femmes. « Les données actuelles montrent que les recherches concernant les pathologies spécifiquement masculines sont bien mieux financées que celles se concentrant sur les pathologies dites féminines. L’endométriose est un exemple criant des biais de genre dans la recherche. »

 

Publications :

  • Fauconnier A. et al. Early identification of women with endometriosis by means of a simple patient-completed questionnaire screening tool: a diagnostic study, Fertility and Sterility, 116 (6), 2021.
  • Gouesbet S. et al. Patients’ perspectives on how to improve the management of endometriosis: a citizen science study within the ComPaRe-Endometriosis e-cohort. J Wom Health, 2022.
  • Gouesbet S. et al. Patients' Perspectives on How to Improve Endometriosis Care: A Large Qualitative Study Within the ComPaRe-Endometriosis e-Cohort. J Wom Health. 2023.
  • Mirin AA. Gender Disparity in the Funding of Diseases by the U.S. National Institutes of Health. J Womens Health. 2021.
  • Rosenbaum J. et al. Des pistes de réflexion pour la recherche sur l’endométriose en France. Med Sci (Paris), 38 (3), 2022.